Louve d’un jour, louve toujours

Quand ma mère m’a offert la semaine dernière le roman de Paul Henry Bizoh, « La Louve », je pensais qu’il s’agissait de l’histoire de cette magnifique coopérative autogérée à Paris, inspirée par l’extraordinaire aventure de ce supermarché coopératif de Brooklyn, le Park Slope Food Coop. J’en parlerais une autre fois, car ca n’est pas du tout le thème du bouquin, mais allez faire un tour sur https://cooplalouve.fr et regardez surtout le « amazing » Food Coop qui raconte l’histoire de cette belle aventure et de ces modèles économiques pas bêtes du tout développés par nos amis Brooklinois.

Bref, « la Louve » ne parle pas du tout de ça mais ça reste un très bon roman, intéressant sur plusieurs points. D’abord, signe des temps, la permaculture est présente à toutes les pages. C’est même le coeur du roman, et ça donne quelques bonnes clés de compréhension côté culture et côté « phénomène de société ». Ensuite, ça décrit de manière assez caustique et bien vue la gentrification de l’alimentation, le travers (de porc ?) des capitales pour consommer des produits « vertueux » des campagnes. Ca marche aussi bien à Beyrouth qu’à Paris. Avec toute la difficulté que ça pose. C’est quoi un « bon » produit, c’est quand que c’est « vertueux » ? Par définition quasiment, les « élites » qui donnent aujourd’hui les tendances de demain ne suivent pas de standards et c’est plus dans le « story telling » que ça se passe, dans l’impression de partager un bout de terroir dans son assiette, de manger sain et solidaire.

La description des chaines de valeur est bien vue aussi. Dans l’alimentation comme dans tous secteurs, c’est en général le « bout de la chaine » qui controle. Les acheteurs en gros au Liban ; les centrales d’achat pour restaurateurs dans le bouquin en France. Dans tous les cas, la question de l’organisation d’une filière qui repose sur de petits exploitants, peu organisés et recherchant de la qualité, est une intéressante question. Les marchés fermiers, les petites coopératives sont des approches à creuser, mais dont on voit encore mal aujourd’hui comment elles péréniseront le système.

Il y a par contre un point que ce roman explore à mon avis de manière trop caricatural. C’est celui du « méchant » entrepreneur, qui monte ses restaurants à Paris et surfe sur des modes alimentaires en exploitant les petits fermiers. Qui grosso modo profite des valeurs symboliques créées par les fourches pour capter la valeur économique générées par les fourchettes. Certes, ca sert le propos du bouquin, mais ca me désole toujours cette difficulté à accepter que les entrepreneurs ont pour motivation évidemment l’appat du gain mais aussi celui de l’aventure, de l’adrenaline, de l’acharnement à creuser un besoin et à trouver des fournisseurs qui y répondent, de construire des solutions adaptées et de les remettre en cause en permanence.

C’est d’autant plus dommage que la confrontation entre un neo-fermier permaculteur et un patron de « concept food » parisien est passionnante. Elle pose la question de la possibilité de faire communiquer ces 2 univers (et de ce point de vue l’installation de plus en plus régulière de citadins à la campagne est peut être une chance ?), et de la possibilité de tenir compte des principes « nobles » de la permaculture sur l’ensemble de la chaine, depuis la production jusqu’à la consommation. D’avoir des distributeurs, des restaurateurs, mais aussi des clients, capables de prendre leur temps, de ne pas chercher à faire sortir plus vite que de raison (ou de nature) les carottes de la terre.

Pour revenir à la Louve, une des conséquences probables, et passionnantes, de ces nouveaux modèles de business va probablement être la réduction des frontières entre producteurs et consommateurs. Et la rémunération d’un rôle de « formation » par les producteurs, vers les consommateurs, d’une façon plus raisonnable de s’alimenter.

Beaucoup de belles pistes, dans lesquels il y aura besoin de permaculteurs autant que de marketeux et de financiers !