Je suis un lecteur assez régulier de la Harvard Business Review, mais plutôt pour y trouver des inspirations managériales et entrepeneuriales, pas tellement des conseils en permaculture.
Et pourtant, quelle joie et surprise, de trouver dans le numéro qui fait le pont entre 2017 et 2018 une série d’articles brillants (comme toujours) et profonds sur le développement durable et l’entreprise. Très loin d’essais sur le green washing ou la façon de faire prendre des LED pour des lanternes aux clients, ces papiers analysent les conséquences du changement de paradigme. Dit en anglais et en « harvardien : » The Big Pivot : Radically Practical Strategies for Hotter, Scarcer and More open world ». Et oui, dans un monde plus chaud, plus rare en ressources fossiles, les stratégies changent.
On se demande souvent comment de petites initiatives locales, comme on en porte tous, à la sueur de nos fronts, vont pouvoir « changer les choses ». Il y a une première réponse, la plus évidente, qui tourne autour de « parce que c’est bien ». Autrement dit, les gens, sur leur territoire, font des choses sages et bonnes et parce que certaines marchent, elles sont copiées sur d’autres territoires, repérées par des politiques et des chercheurs, qui les théorisent et les développent, créent un cadre juridique et normatif qui imposent ensuite ces solutions au plus grand nombre. C’est pas faux, ça s’est même vu et ça pose plein de questions (comment les initiatives ne sont pas dévoyées ? qui définit ce qui est bien ? comment on évite les effets d’échelle, comment on finance tout ça… ?). Une autre réponse tourne autour de « parce que c’est nécessaire ». Et ça c’est plutôt le boulot des entreprises, acteurs « a-moral » par définition. Attention, pas « i-mmoral » mais en dehors de considérations morales, et c’est tant mieux d’un côté. Là aussi, en tant que citoyen-consommateur, chacun a le pouvoir d’agir et de modifier les équilibres. Et c’est de ça dont parle la Harvard Business Review. De l’autre côté de la machoire, du côté des grands groupes, en quoi les changements climatiques et énergétiques vont amener à modifier les stratégies. Et c’est très intéressant, ne serait ce que par ce que ça évite de simplifier à l’extrême un monde avec de « méchants » grands groupes qui ne comprendrait rien et contribuerait à polluer et d’un autre de « gentils » militants de terrains qui auraient raison contre tout le monde. Dans ce nouveau monde qui se construit, au moins dans la phase actuelle, ce qui est intéressant c’est que les grands groupes, pas idiots, intérorisent des contraintes qui leur apparaissent comme évidentes et ont besoin d’avoir en face des offres d’acteurs agiles, des start up par exemple, pourquoi pas inspirées par des initiatives « locales » bénévoles, pour les adresser. C’est un grand moment pour un pivot vers la coopération.
Qu’est ce que nous dit donc le brave Andrew de ce pivot et de l’importance d’investir dans des projets « incongrus » ? Il analyse 3 conséquences et une rupture :
Vision – il va falloir lutter contre le court termisme ; fixer des objectifs basés sur la science ; valoriser des innovations incongrues (accepter 10% d’innovations à côté de 90% de l’activité dans le core business, pour récolter les fruits des changements). C’est la fameuse théorie « Antifragile », de Nicholas Taleb : placer 90% d’un portefeuille d’investissement en produits monétaires peu risqués et 10% en paris très risqués peut générer un rendement u moins 10 fois supérieur dans une conjoncture instable (ce dont on peut raisonnablement caractériser notre conjoncture actuelle).
Valorisation – changer les avantages, redéfinir le roi, valoriser le capital naturel (prendre en compte les externalités négatives, qui ne sont pas comptabilisées et donc sur exploitées et sur conservées). Cf GE et Diversey (créer un portefeuille de projets d’effiacité, avec des résultats plus ou moins longs à amortir, pour diversifier les retours) ; cf Carbon Discolsure Project (29 groupes mondiaux qui intériorisent le prix des émissions de carbone dans leurs plans financiers à long terme)
Et donc dépasser l’analyse en ROI – car onmanque de données (les résultats portent leurs fruits au-delà de l’entreprise) ; qu’on parle de retours intangibles (image de marque ; les dépenses en programmes de durabilité sont, comme la r et d, des investissements pour l’avenir, le prix à payer pour l’identification et la gestion des risques et des opportunités) ; et surtout car ces investissements permettent l’atténuation des risques, les opportunités, l’amélioration communautaire… ;
Partenaires – inciter les clients à consommer moins, collaborer de manière radicale, faire pression (collaboration entre entreprises, gouvernements et clients ; élaborer des normes fournisseurs plus strictes que les normes légales, cf Walmart et HP)
Il va s’agir aussi de batir des coopérations avec ses concurrents, sur des zones non critiques, pour adopter de bonnes pratiques ou des échanges d’expérience (efficacité énergétique, fournisseurs…)
Un point très fort de l’analyse porte sur le passage d’une logique de rentabilité vers une logique de résilience, exactement comme dans « la permaculture pour les nuls ! » :
- résilience pour limiter les risques – réduire la dépendance à des phénomènes extrêmes et non prévisibles (les fameux cygnes noirs)
- et résilience des coûts (se protéger d’évolutions de prix sur les matières premières, l’énergie…), des revenus et de la marque
Mais du coup, tout ça va à l’encontre des méthodes « Lean » et de « réduction des coûts », qui vont complètement à l’encontre de la diversité et de la redondance.
Beaucoup de pain sur la planche donc ! Passionnant je vous dis…