Permabusiness, episode 2

Ce post est le 2e volet d’un tryptique sur le permabusiness, ou l’effort que j’essaye de faire pour concilier ma passion de la start up, de l’accélération, de la « geste entrepreneuriale » d’un côté et de ma prise de conscience, plus récente, de l’urgence et de l’enjeu à intégrer les principes et les dynamiques permaculturelles d’une autre. Je sens bien confusément que l’un et l’autre ont vocation, sinon à s’allier du moins à dialoguer mais c’est plus facile à dire qu’à écrire clairement !

 

Je vais traiter aujourd’hui de la question de l’identité professionnelle, un thème au centre du Certificat de Conception en Permaculture animé par Gildas et Claire en septembre dernier et sujet d’un bouquin que l’ami Benoit m’a fait lire récemment.

Au passage, l’occasion de rendre un court mais vibrant hommage à Benoit, avec qui on partage pas mal de points et visions communes. D’abord, on habite tous les deux à Badaro. Bon lui depuis plus de 20 ans et moins depuis moins de 3, avec un départ prévu dans 1 mois ! Ensuite, on est tous les deux parmi les joyeux fondateurs des « Badaro Urban Farmers ». Et, surtout, sans pouvoir l’assurer ni pour lui ni pour moi, je crois pouvoir dire qu’on a plus ou moins échapper aux jobs à la con dans nos carrières professionnelles (même si j’ai eu ma dose d’excel et de powerpoint !).

L’emploi donc, ou plutôt un moment de l’histoire économique passionnant où il n’a jamais été autant opportun et possible de créer son job pour transformer le monde.

D’un point de vue « micro », le monde de la permaculture est un vivier de jeunes et moins jeunes qui changent de job, transforment leur carrière, passent pour schématiser d’un boulot en open space qui les emmerde mais les nourrit à une activité en open space (au sens propre) où ils emmerdent (au sens propre, car tout part du compost messieurs dames) pour se et nous nourrir.  D’un point de vue « macro », il y a un enjeu à faire émerger des jobs rentables pour soutenir la croissance et l’innovation d’un secteur qui veut transformer l’économie.

 

« La révolte des premiers de la classe », plus joliment sous titré « Métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines » est un joli pavé de Jean-Laurent Cassely. Il traite de tous ces jeunes diplômés, qui après avoir réussi Sciences Po et exercé quelques années comme cadres dynamiques, finissent par s’ennuyer, perdre le sens de ce qu’ils font et embrassent la carrière de boulangers, fermiers, artisans… Pourquoi ?

 

Côté « push », de jeunes cadres qui font face, après des études intellectuelles, à des boulots processés, maillons dans une longue chaine de décision, qui fait trop peu appel à leurs compétences et les enferme dans des fonctions où ils ne voient pas leurs clients, pas plus que leurs fournisseurs ni leurs actionnaires ; et passent un temps trop long à mettre en forme, présenter, reporter, suivre des méthodes standardisées. Perte de sens, d’initiative, le passage au statut de cadre a perdu son rôle émancipateur. Et inversement, la presse regorge d’histoires de « néo urbains »/« permaculteurs » appellez les comme vous voulez, qui réinventent les métiers traditionnels de fromagers, commerçant, artisans, fermiers, en combinant « matière » et intellect. Le nouvel espace du « cool », de la réussite, ce sont ces parcours, beaucoup plus que l’accession à un poste à plus haute responsabilité, ou mieux payé. Le « whaou », c’est la microbrasserie plus que la macro excel.

 

Côté « pull », des centres urbains où des clients qui leur ressemblent représentent une clientèle en attente d’histoire, de « story telling », d’expérience d’achat. Heureux d’aller acheter du fromage chez ce petit jeune qui aime ce produit depuis qu’il est né et a ouvert cette jolie boutique après 5 ans chez Orange. Ces nouveaux clients achètent l’authenticité du projet, adhèrent à la démarche marketée, à l’histoire racontée, par ces nouveaux entrepreneurs qui combinent passion pour un produit et qualité de communication.

Au final, dans les villes, ce sont une offre et une demande qui se retrouve, recréant une ambiance de place du village paradoxalement beaucoup plus vivace qu’en campagne, où la consommation se fait dans le centre commercial le plus proche, où l’on va en voiture. Et c’est à une double inversion qu’on arrive. A la matière, revalorisée par rapport à l’intellect ; et à l’espace, où les premiers de la classe passent de la conquête d’un espace mondial au défrichage de leur territoire local.

 

C’est passionnant, et je me sens moins seul à me demander comment combiner mes compétences entrepreneuriales et mon aspiration « matérielle » ! La réponse n’est pas simple, et les enjeux sont multiples, mais il va y avoir besoin de beaucoup de gens, de beaucoup d’essais et de beaucoup d’erreurs pour trouver les bonnes réponses.

Le premier enjeu c’est le risque de la nouvelle standardisation. A Beyrouth, je vis entouré de dizaines de jeunes libanais qui vont dans cette direction. Des responsables de communication qui  cultivent. Des expats qui font du pain, des micro brasseries… Et, comme le pointe intelligemment Jean-Laurent Cassely, le fait qu’on voit ces concepts apparaître ces mêmes concepts à Beyrouth, à Brooklyn, à Paris, à Nantes… porte en lui le risque d’une nouvelle standardisation. Ce ne sont plus les mêmes enseignes qu’on voit fleurir dans toutes les rues commerçantes, mais les mêmes « concepts authentiques ». Côté business, ça tuerait le principe même de l’expérience client que de reproduire trop manifestement des concepts mondiaux. Côté « sens », je rajouterai le rapport paradoxal entretenu avec les « vrais » commerçants et artisans ou fermiers. Ceux qui font ça depuis des années, mais qui n’ont pas l’envie particulière de « story-teller » leur histoire, de mettre en avant leurs parcours. Alors, certes, l’arrivée de ces « néo urbains », de ces compétences, ca bouscule, ca crée de belles choses, mais il reste à voir comment cela va coexister avec des professionnels qui tirent leur authenticité de leur histoire, parfois sur plusieurs générations, plutôt que sur une histoire de « passion », souvent auto-célébrée et auto-mythifiée, transmise à des media dont ces nouveaux entrepreneurs maitrisent bien mieux les codes, créant au passage un grossissement probablement excessif du phénomène. L’arrogance « parisienne » (pour caricaturer) de ces nouveaux entrepreneurs (et je ne m’exonère pas de ce défaut !) se heurte à la méfiance (là aussi je caricature) des « traditionnels » ! Côté « job » enfin, la recherche de sens risque de rapidement poser question et il n’y a pas de raison qu’un micro brasseur ou une ferme en permaculture fasse vivre à ses employés une expérience meilleure que celle de Carrefour à partir du moment où elle grandit et où elle crée des process pour garantir l’efficacité de sa production.

 

Un deuxième enjeu, c’est celui du business model, et en particulier du modèle de croissance. Car, ne l’oublions pas, ces modèles partent en général d’un constat partagé entre vendeur et acheteur du besoin de consommer moins, de ne pas grandir trot. La légitimité de l’expérience client se construit à une échelle locale, sur une passion individuelle partagée avec un petit noyau de clients passionnés eux aussi. Difficile dans ce contexte de franchiser, de grandir trop. Des initiatives comme celles de Ferme d’Avenir, consistant à démontrer un modèle pour ensuite soutenir son appropriation par une armée de convertis, sont intéressantes. Comme celles de plate-formes d’animation de « bénévoles/professionnels » comme la Ruche qui dit Oui, ou la mixité de ressources bénévoles et privées comme la Louve. La capacité de ces business à inventer de nouveaux modèles, la capacité d’outils financiers à les accompagner va être passionnante à observer dans les années à venir et dores et déjà les échanges et les défis sont stimulants ! La dimension qui m’intéresse la plus est celle du brouillage des frontières. Les clients deviennent des investisseurs par le biais du crowdfunding, des bénévoles qui équilibrent le modèle ; les fournisseurs deviennent des partenaires qui possèdent une partie du capital de leurs distributeurs au travers d’une SCIC. L’Etat se doit d’accompagner ce modèle et de créer les conditions d’une internalisation des bénéfices sociaux et environnementaux de ces entreprises.

Côté business, ces initiatives sont souvent sur-valorisées par les média ou leurs initiateurs mais bien peu a trouvé aujourd’hui son point d’équilibre. Il est encore tôt pour juger, mais la question de « l’exit » comme on dit chez nous les investisseurs, ne va pas être simple ! Une fois réalisé qu’il va être difficile pour la plupart de ces modèles de reverser aux entrepreneurs et à leurs partenaires un gros salaires ou une grosse prime après la revente de leur société, se posera la question de la sincérité et de l’envie de vivre avec peu en consommant moins. La solution est elle dans un aller et retour entre job plus ou moins à la con et activité moins rentable mais épanouissante ; dans un brouillage de plus en plus grand entre des fonctions de bénévole, d’entrepreneur, de client, de producteur…

De bien belles aventures en perspective. Benoit, on a pas fini de se marrer !

2 réponses sur “Permabusiness, episode 2”

  1. Quel plaisir de te lire. D’abord en raison de ta qualité d’écriture mais aussi de l’énergie que tu mets dans tes projets et de ta capacité à te remettre en cause, à prendre des risques et à entreprendre. Et puis sur le fond j’ai l’impression que tu fais partie de ces gens qui cherchent, concrètement, à leur niveau, une façon de bouger le monde, même si tu vas me dire que c’est trop pompeux. Alors bravo et continue comme ça. Maman

  2. En complément de l’article sur la Louve, une problématique abordée par « Les rencontres de la Plaine » plutôt des militants et des politiques, sur la façon d’aborder le travail des salariés et la politique manageuriale dans l’ESS. Peut-on et doit-on gérer les salarié-e-s de la même façon que dans les entreprises fondées sur le capital ?

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