Nous évoquions récemment avec une jeune chercheuse formidable les différences d’approche, de rythme et de langage entre les entrepreneurs et les chercheurs.
Il faut de tout pour faire un monde, et il n’est pas impossible de penser que la soif d’action, de vitesse, de raccourcis indispensables pour créer de la percussion dans un monde en mouvement gagne à l’échange avec un positionnement plus rigoureux, méthodique, en recul, qui a besoin d’un temps long pour analyser, comprendre, écouter.
Les méthodes ne sont pas si éloignées, et les fondamentaux très proches. Il s’agit dans tous les cas de comprendre un « terrain » (ou un marché) pour contribuer à le changer en y apportant des éléments nouveaux (un produit, un service, des connaissances…).
Le rythme par contre diffère. Le délicieux frisson entrepreneurial consiste de mon point de vue à se dire qu’il est impossible (ou trop long, ce qui revient au même quand il faut générer tous les mois un revenu) de comprendre le monde sans le « tester », sans lui apporter avant qu’il ait rien demandé, ce qu’on pense lui être utile.
La remarquable attitude de la recherche consiste, telle que je la comprends, à au contraire prendre le temps, avec précaution et empathie, d’interroger, observer, écouter, avant d’agir.
C’est bien sur caricatural, et tout bon entrepreneur pratique les rudiments de l’étude de marché, de la même manière que peu de chercheurs restent véritablement en chambre toutes leurs vies et qu’ils ont également leur pression de résultat, de publication. Mais c’est une question d’attitude, de comportement naturel.
Les investisseurs de ce point de vue ont une responsabilité intéressante, en particulier quand ils s’intéressent à l’impact. En apportant des fonds (donc du temps), de l’expérience et l’exigence de la formulation d’une vision de long terme, ils contribuent à rendre l’entrepreneur plus « chercheur ». En imposant en revanche un rythme, la recherche de l’action et du résultat, qui doit contribuer à limiter l’accumulation d’aides inutiles que trop d’entrepreneurs accumulent et qui finissent par les transformer en chercheur… de primes.
Bref, une très longue introduction méthodologique pour en venir au thème de mon prochain billet : la Louve.
J’y ai passé en tout et pour tout une demi journée d’observation, quelques lectures et entretiens et j’en suis sorti avec un tas de certitudes qui m’ont semblé suffisante pour passer à l’action et donner mon avis éclairé à un tas de gens !
Et voilà t-y pas que je découvre qu’un autre chercheur (que je ne connais pas, celui là), un certain Hajar (qui fait bien les choses) a consacré j’imagine au moins 3 ans de sa vie à observer « le travail du consommateur pour la mise en place d’une alternative : cas du supermarché coopératif la Louve ».
J’en parle dans quelques jours, ne quittez pas ! Et profitez de cette mise en abime hallucinante où un chercheur décortique le modèle de deux entrepreneurs américains qui, au final, percute mais met quand même 6 ans à accoucher de son projet. C’est ça aussi l’excitation entrepreneuriale, agir fort et vite mais garder le souffle long. Ca doit pas être très loin de l’excitation d’un thésard, en fait.