Miracle à Alger

Pourquoi pas un petit Dutronc, par exemple « Et moi et moi et moi » pour accompagner la lecture de ce post en restant dans le thème.

Double miracle en septembre dernier à Alger. Il m’a fallu un bon mois pour m’en remettre et parvenir à écrire dessus.

Premier miracle : une série de poubelles, dans les rues d’Alger, qui non seulement permettent un tri sélectif incluant une partie organique, mais vont jusqu’à séparer le pain du reste. Je ne vois pas bien l’intérêt de ce rafinnement, mais après tout le pain, c’est un flux facile à identifier. Le résultat est assez impressionnant : le pain gaché est avec le pain gaché, les organiques avec l’organique et les recyclables dans le bac des recycables. Tout le monde est bien rangé et prêt (espérons le) à rejoindre un point d’évacuation « censé » !

Deuxième miracle : ce même jour, par un hasard dont le doigt occulte argouinistique a le secret, Bruno Parmentier donnait une conférence à l’Institut Français d’Alger. Bruno Parmentier ? Mais si, l’auteur de « Nourrir l’humanité », de « Agriculture, Alimentation et Réchauffement climatique » (tout ça à découvrir sur son site). Mais aussi l’ancien directeur de l’Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers. Hasard sympa, donc, et l’occasion de découvrir son talent oratoire pour mettre en exergue quelques principes et ordres de grandeur pas toujours intuitifs, parfois flippants, mais au bout du compte salutaires.

800 millions

Premier indicateur, qu’on soit en 1900 ou en 2019, 800 millions de personnes meurent de faim dans le monde. C’est une énorme amélioration d’un point de vue relatif (on est passé entre temps de 1,8 milliard à 7,6 milliard d’habitants), mais un échec par rapport aux objectifs du millénaire, qui visaient de réduire la faim dans le monde de moitié, à 400 millions de personnes.

Dans le détail, ces 800 millions sont très majoritairement en Asie (515 millions), de plus en plus en Afrique (257 millions), 39 millions en Amérique Latine et 9 millions dans les pays développés.

La faim dans le monde il y a 50 ans, c’était la Chine (500 millions de petits chinois, et moi et moi et moi). Aujourd’hui c’est l’Inde et demain ça sera l’Afrique. Rendons nous compte, la faim concerne 20% de la population indienne (soit tout de même 200 millions) mais… 40 à 50% de la population africaine grandissante.

Au delà de ces 800 millions, 1 milliard d’habitant ne consomme qu’un seul aliment par jour et un autre milliard est en situation de précarité alimentaire.

Pas d’explication définitive sur ces 800 millions. Est ce un plancher ? un état de fait ? une aberration statistique… ? Un travail d’analyse demeure.

Il n’en reste pas moins que pour réduire d’autant la part relative dans le monde de la pauvreté, il a bien fallu que la production de mais, de blé, de riz et de légumes explose plus rapidement que la croissance de la population. C’est l’un des miracles de ce dernier siècle.

7%

7%, c’est la part du revenu consacré à l’alimentation par un américain. Soit la moitié de ce qu’y consacre un français et plus de 10 fois moins que ce qu’y consacre un bengladi. Un poulet aujourd’hui, c’est 1h de salaire moyen. Il en fallait 4 il y a 50 ans.

Revers de la médaille ? Le montant des dépenses de santé est deux fois plus élevé aux Etats Unis qu’en France. « Mc Do, mc do, mc do, hosto ? ».

Un premier enjeu, la surpopulation

Les courbes d’évolution de la population mondiale sont saisissantes. Entre 400 et 1600, pas de changement. L’agriculture rudimentaire, les guerres, les maladies font office de variable d’équilibre. Entre 1800 et 2100 par contre, l’évolution est exponentielle. Chaque jour, pas moins de… 320 000 naissances. A raison de 160 000 décès, cela fait quand même 200 000 nouvelles bouches à nourrir par jour, ou… 75 millions par an.

Avec des équilibres qui évoluent à toute vitesse. 552 millions d’habitants en Europe pour 252M en Afrique en 1950. Un petit million de plus en Europe et… plus de 4 milliards en Afrique en 2100.

2eme enjeu, la viande

Quelques chiffres amusants, à défaut d’être alarmants. Un carnivore « mange » aujourd’hui 800kg de denrées alimentaires (via ce que mange son steak) par an contre 200kg pour un végétarien. Un français mange en moyenne un boeuf tous les 10 ans. Dans une vie, il aura consommé 2,4 tonnes de poissons, 32 000 litres de lait, 20 000 oeufs, 7 ovins, 33 cochons, 9 chèvres et moutons, 1 300 volailles et 60 lapins. Ouf ! Soit 85kg de viande par an, là où un américain en consomme 125, un chinois 60, un chinois des années 80, 14, un indien 6kg et un africain 11kg.

3e enjeu, le gachis

20 à 30% de la nourriture produite n’est pas consommée. Au sud, elle est gachée au moment de la récolte, faute de stockage adapté, de chaîne de froid, de conditions de transport efficaces… Au nord, au moment de sa consommation.

Au final, toutes choses égales par ailleurs, il faudrait augmenter la production agricole de 70% pour que tout le monde mange bien en 2050. Plus précisément, il faudrait la quintupler en Afrique (la tripler si tout le monde devenait végétarien), un peu plus que la doubler en Asie et la faire légèrement évoluer (x1,31) en Amérique du Nord. En Europe, pas de problèmes. Le problème étant que l’Asie ne dispose pas de terres ni d’eau disponible, que l’Afrique doit encore monter en compétences agricoles et que seule l’Amérique du Sud regorge de terres disponibles (d’où les feux de forêt pour convertir les forêts en zone de production de soja).

A ces 3 enjeux production / consommation vient se rajouter une logique plus récemment perçue, celle du réchauffement climatique. A suivre dans le prochain post…