Prêts pour le monde d’après ?

J’ai longtemps résisté. Me disant qu’il y avait déjà une sur-saturation des réseaux sociaux, des écrans, des journaux, autour du confinement et du monde d’après ; que beaucoup de gens beaucoup plus intelligents projettaient leur vision. Et puis voilà, au bout de 7 semaines, je n’y tiens plus et je ressens le besoin de coucher quelques idées noires sur blanc. Rien de très révolutionnaire. J’évite les constats dramatiques ou « apocalyptiques » car je ne les vis pas, n’y crois pas et qu’ils sont déjà bien disséqués dans de nombreux textes. J’évite aussi un trop grand optimisme car il serait un peu illusoire de penser que tout va changer dans « le monde d’après » (et d’un côté tant mieux car il y a pas mal de trucs qui me plaisent bien dans le « monde d’avant »). Je me borne donc à quelques constats simples sur ce que cette crise révèle, de mon humble point de vue.

  • La première chose, évidemment, c’est cette impression que l’on vit tous, mais alors vraiment tous, dans le monde entier, une expérience invraisemblable de distanciation, de baisse du rythme, des kilomètres parcourus, de la consommation non essentielle. On l’a vécu, on a vu que c’était possible, et ça va rester dans notre imaginaire commun.
  • Ce qu’on a vécu aussi c’est que la norme sociale, la norme sanitaire, « commande » le reste, y compris la sphère économique. Je ne suis pas de ceux qui ont l’impression que des politiques cyniques font le jeu de grands capitaines d’industrie. Peut être naivement, je donne crédit à notre société et aux politiques de chercher à « faire le bien », souvent maladroitement, mais sans faire passer devant les enjeux économiques. Dans le domaine climatique également, la capacité du GIEC à produire des données fiables et précises conduit à une action resposant sur des donnée scientifiques. Là encore, cette crise révèle que c’est possible et ça donnera du courage pour aller chercher plus d’investissement, de moyens, pour préparer la transition écologique et sociale.
  • On aura aussi, et là encore ce n’est pas nouveau, fait un choix collectif commun de sacrifier une partie de notre liberté et de nos conditions de vie pour que tout le monde, notamment les plus fragiles, puisse échapper à la maladie. Après tout, c’est ce que l’on fait aussi quand on consent à l’impôt. Mais là, c’est plus massif, plus visible. On aura incidemment mesuré la puissance des filets de sécurité sociaux à l’oeuvre et l’importance d’avoir un Etat protecteur.
  • Dernier point d’observation générale, la mondialisation est apparue comme ce qu’elle est (enfin comme je pense qu’elle est) : une source de risque, de diffusion virale mais également une opportunité d’échanges et de collaborations et une possibilité jamais vécue de se sentir en proximité les uns des autres.
  • Plus original, j’ai été très intéressé de voir comment les commerces de proximité ont été considérés par un grand nombre de consommateurs comme des « communs », des lieux appartenant à tous, nécessaires à notre qualité de vie et qu’il s’agissait de soutenir, par exemple en pré-achetant repas et verres au comptoir. Cette transformation de l’homo economicus en homo empathicus, prêt à prendre un risque pour sauver son cadre de vie, ce n’est pas au niveau des petits commerces que je l’attendais, mais c’est une vraie bonne nouvelle.
  • A titre perso, je n’ai pas relu Proust mais j’ai pu m’atteler à creuser quelques sujets « en souffrance » : la pensée de Rocard (ca pourrait probablement fonder mon socle de pensée !), la microfinance en Afrique, les méthodes agiles au sens large du terme et le Lean Impact de Anne Mei Chang en particulier. Au final, ce seront bien les plus agiles, ceux qui ont construit les modèles les plus résilients et adaptables qui survivront, pas forcément les plus forts. La manière dont les commerces traditionnels vont intégrer cette transformation va être passionnante à observer.
  • Par ailleurs, j’ai un peu l’impression que le monde est en train de vivre un moment très « lean ». Un univers hautement incertain, l’obligation de « piloter à vue », le focus sur « trouver un modèle » plutôt que « optimiser un revenu », la fixation d’échéances contraintes (le fameux 11 mai, j’ai adoré !). Tout ça est bien anxyogène, mais c’est ce que vivent tous les créateurs de start up et la plupart des libanais depuis des années ! Bref, ce sont des phases dures, rendues tragiques évidemment par la sanction du virus dans le cas d’espèces, mais aussi des phases de mutations rapides, de « pivots », d’agilité….
  • La transformation numérique qui s’impose est également un facteur de grande excitation. S’il y a bien une chose qui risque de rester, c’est l’évidence que la visioconférence fonctionne. Les audioconférences sont devenues ringards, on a tous pu expérimenté des apéros, des AG, des réunions, sur zoom, lifesize ou Teams. Et je n’imagine plus que je ferais un Laval-Paris (encore moins un Paris-Abidjan) pour 1 ou 2 réunions.
  • On a beaucoup parlé en mars des parisiens débarqués en province. D’une manière plus générale, des « anywhere » (nomades, sans points d’attaches fixes, supposément agiles, explorant le monde « en largeur ») et des « somewhere » (ancrés sur un territoire, explorant le monde en « profondeur »). Cette crise m’a évidemment confirmé dans mon statut de « anywhere », inquiet et fragilisé par les impossibilités de voyager et de bouger, mais également préparé à travailler à distance, de n’importe où, à communiquer en visio dans le monde entier… Elle a aussi révélé que les modèles résilients étaient probablement ceux des « somewhere ». L’exemple le plus abouti étant peut être Raed et Joana au Liban, qui avec brebis, légumes, blé et amour vivent et nourrissent quelques familles sur Beyrouth !
  • L’Afrique, enfin, est apparu pour elle même, source de beaucoup de peurs mais aujourd’hui aussi de fierté et porteuse de son modèle propre. Felwine Sarr en parle très bien dans son papier sur TV5 :

Allez, je termine sur quelques initiatives que j’ai trouvé exemplaires ces dernières semaines dans le contexte du confinement :

  • en mayenne, l’incroyable salon virtuel monté par le Laval Virtual Center. L’occasion de démontrer qu’il est possible de se réunir, d’échanger, de se croiser au hasard, même en temps de confinement. Ca a été un précoce et impressionnant exemple de résilience.
  • solar brother, qui ne se décourage pas et m’a fait envoyer un de ses fours solaires au Conquet (en Bretagne) pour en faire un test et des photos.
  • Fadev et Initiative France qui parmi d’autres financeurs solidaires, poursuivent leur action en France et en Afrique.