Je ne suis en général pas un très grand amateur des collapsologues de tout poil. Non pas qu’ils aient fondamentalement tort, mais je n’arrive pas à faire de cette vision un moteur de mon action.
Le MOUVES avait cela dit invité jeudi Aurélien Barraut à ouvrir ses très excitantes universités d’été,. Intéressant déjà qu’un astrophysicien interpelle les « entrepreneurs sociaux ». Une manière de rappeler que les lois de la physique s’imposent aux activités humaines et qu’on n’arrivera pas aussi facilement que ça à faire cohabiter croissance et impact.
Un mot sur ces universités pour commencer. Avec un bel aéropage d’organisations (Finansol, Make Sense, Oxfam, B Corp, l’AVISE, Ashoka, réseau Entreprendre, UDES…), le MOUVES a formé une alliance du doux nom de « nous sommes demain » (https://noussommesdemain.com). Ceux qui comme moi sont plutôt d’hier ne peuvent que regretter notre manque d’ambition et de décomplexion à forger avec plus d’énergie et d’accélération le monde de demain (qui se trouve donc être celui d’aujourd’hui). Et contribuer avec plaisir et gourmandise aux efforts de cette nouvelle génération.
Aurélien Barraut donc… après un exposé assez classique sur le mur dans lequel nous allons à toute vitesse, Aurélien a répondu à l’intéressante question des conseils à donner à l’assemblée de « jeunes entrepreneurs sociaux cools présents dans la salle » (je caricature gentiment !). La réponse est claire et interpellante. Bien sur, et les témoignages des patronnes de Engie ou d’Orange le confirment, les mentalités sont mures. Des grandes boites aux petites PME, des entrepreneurs à impact aux maires récemment élus, l’enjeu de l’impact est dans toutes les têtes et dans beaucoup de business model. Ca change tout et c’est positif.
Mais comme le dit avec tranquillité Aurélien, «on arrête pas un missile supersonique avec un matelas en mousse ». Autrement dit, la seule issue, le seul moyen d’agir, c’est de faire moins. La physique n’a pas le caractère performatif de la finance. Autant il est possible avec 3 mots d’annuler une dette (en stipulant justement « j’annule ta dette ») autant il n’est pas possible de combattre le changement climatique avec des discours.
Son postulat est simple : « tout patron devrait avoir pour objectif d’avoir vendu moins quand il part que quand il est arrivé », « tout ministère de l’économie devrait avoir pour objectif d’avoir réduit le PIB ». On pourrait rajouter aussi que tout consommateur devrait avoir pour objectif de réduire son train de vie et son emprise sur l’environnement qui l’entoure. Très normatif, culpabilisant mais comme il le dit « on y peut rien, c’est la physique ». Un genre de TINA (there is no alternative) qui commence à s’imposer à tous.
Ca promet de gros débats, et la passionnante question qui en découle c’est « comment » ?
- Vendre des services qui permettent de moins consommer aux consommateurs, aux entreprises : services de lutte contre le gaspillage, de réduction des gachis (fuites d’eau…) ; une demande de plus en plus pressante pour payer plus et avoir moins (de pesticides, de kilomètres, d’emballage…). C’est le plus simple, l’objectif reste de faire du chiffre d’affaires, mais en aidant ses clients à faire moins et mieux. On peut raisonnablement parier qu’à terme ces modèles vont devenir dominant.
- Prendre des parts de marché à des concurrents dont l’offre ne correspond plus à une cible : nouvelle génération transition-native qui assimile les enjeux et sait répondre à une cible de pros ou de consommateurs en attente. Là aussi on reste dans du classique.
- Le plus intéressant cela dit, c’est la manière dont les cerveaux d’entrepreneurs, de marketeux, d’ingénieurs, de financiers, d’élus locaux, tous présents dans ces universités, commencent à phosphorer sur l’étape d’après. Comment affronter le vrai enjeu, celui de la décélération, de la réduction, du moins. Comment les accélérateurs vont ils se transformer en décélérateur ou plutôt en accélérateur du ralentissement, de l’atterissage ? Comment les investisseurs et financiers vont ils trouver des modèles économiques leur permettant de prendre du risque en acceptant de sacrifier le rendement ? C’est probablement l’étape à venir. Elle reposera sur l’impulsion de quelques start up innovantes, de collectivités pilotes, de « belles histoires » portées par des « story teller ». Et trouvera son socle dans les pratiques de grands groupes et une évolution des attentes des consommateurs.
Il y a un enjeu important à trouver ces voies de sortie pour éviter l’engluement du débat qui s’annonce entre collapsologues convaincus que seul un changement de système radical est de nature à préparer le désastre qui s’annonce et des greenwashers toujours prompts à concilier écologie et économie.
Gael Giraud, le toujours excellent économiste jésuite, ex chef économiste de l’AFD, apportait la piste probablement la plus intéressante, qui est celle de la mesure. Le PIB est un proxy beaucoup plus fiable des émissions de CO2 que de l’atteinte des objectifs qu’un pays peut se fixer dans sa transition environnementale. Et comme le PIB est la somme des valeurs ajoutées dégagées par les entreprises, la réintégration dans les comptes des entreprises de leur impact, de leur « dette envers la nature », la prise en compte du temps bénévole dans les comptes des associations par exemple, la valorisation des bilans carbone, la mise en place « d’impact score »… sont des « combats » en cours de première priorité. Annonce intéressante du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) qui va rendre obligatoire le bilan carbone à ses adhérents.
Deux autres pistes ont fait l’objet d’intéressantes discussions : celui de la gouvernance des projets et des entreprises. Et celui des coopérations territoriales entre élus, grandes et petites entreprises, monde associatif… La France est dotée de ce point de vue d’outils juridiques très ingénieux, les SCIC par exemple.
Trouver des modèles économiques qui génèrent moins, qui intègrent « nativement » l’impact et la décélération. C’est là que ça va devenir passionnant et peut être même possible avec cette génération qui arrive sur le marché en ayant intégré de nouvelles contraintes et moyens de mesurer son bonheur.