Ca n’a plus rien de très original de se pâmer devant les vidéos de super janco mais alors celle-ci (lien) est vraiment exceptionnelle.
Exceptionnelle parce qu’elle traite d’économie. Et que, comme le dit très bien Picketty, l’économie est une affaire trop sérieuse pour la confier aux seules économistes. J’ai déjà à de maintes reprises signalé sur ce blog l’importance des sociologues et des designer. Jancovici, lui, est physicien, et c’est le « mur » de la physique qu’il décrit très clairement sur l’autoroute de la croissance économique !
René Passet le disait aussi il y a 30 ans dans l’Economique et le Vivant. Les outils mêmes de la science économique sont impuissants à décrire l’univers social et l’univers environnemental dans lequel se déroulent les activités économiques.
L’équation que propose Jancovici est extrêmement simple et malheureusement très convaincante. Sur une durée longue, la croissance de l’économie se traduit mécaniquement par une augmentation de l’énergie consommée, à cause tout bêtement du parc de machines installées. Et plus d’énergie consommée ça veut dire plus de CO2 émis. Croissance = Energie = CO2. C’est super basique et ça a d’énormes conséquences.
Sa métaphore « centrale » c’est celle de l’esclave mécanique. Pour simplifier, sans laminoirs par exemple, toute la population française serait occupée à frapper sur des tôles pour aplanir des surfaces de métal. Autre repère, on a chacun l’équivalent de 200 « esclaves » au quotidien pour réaliser nos tâches. Se faire un café (voire un nespresso), se déplacer, repasser… tout ça consomme de l’énergie, avec un facteur de 10, 20 ou 100 fois celui que produit un humain. Autrement dit pour faire tourner la cafetière, on fait appel à l’équivalent de ce qu’une dizaine d’humains produiraient ensemble comme énergie pendant 1 heure.
Xavier Mathias le dit très bien aussi dans le domaine agricole. Le vrai enjeu ce n’est pas tellement le bio, c’est l’idée que la mission d’un agriculteur au bout du compte c’est de produire de la calorie. La « sortie par la science et la techno » ne peut être qu’une solution de court terme et partielle. Dès lors la calorie contenue dans un aliment est produite avec plus d’une calorie (d’intrant, de machine, de transport, de stockage…), on voit bien qu’il y a un problème et un « mur » physique difficile à dépasser.
Raisonner en calorie plutôt qu’en euros, c’est une très bonne idée !
Le truc inquiétant, qu’avais très bien démontré Pierre Veltz c’est qu’on a beau faire d’immenses progrès technologiques, qui permettent de fantastiquement réduire l’énergie consommée pour faire un même travail, la courbe de consommation de l’énergie augmente très exactement au même rythme que celle de la croissance. Pour simplifier ce que je comprends, et de manière bien sur très simpliste, « l’Occident » a « financé » (en termes d’énergie) sa croissance en puisant des ressources dans les pays du Sud (Picketty) ; la Chine a ensuite pu réaliser la même trajectoire de développement car le progrès technologique lui a permis de consommer 20 fois moins d’énergie pour arriver au même résultat. Mais la quantité d’énergie globale consommée a elle continué à flamber. On peut se réjouir de ces progrès, mais pour mon plus grand regret, ça renforce l’idée que n’importe quel entrepreneur a impact un minimum sincère peut difficilement vendre l’idée qu’on arrivera à combiner rentabilité et réduction d’émissions. L’impact c’est un sacrifice. Soit pour l’entrepreneur (qui se paie moins), soit pour l’investisseur (qui accepte des rendements moindres), soit pour le client (qui paie plus)… Les business models de demain vont être fondés sur le « moins » et c’est ça qui va être passionnant.
Faut y aller mollo bien sur. Je rejoins Philippe Silberzhan, le pape de l’effectuation, quand il parle de l’importance des « petites victoires ». Mesurer l’ambition et le défi, donc. Mais aussi accepter que les « compromissions », les effets d’annonce, la recherche d’un équilibre plus subtil entre profit et mission, ne sont pas que du green washing mais aussi les petites victoires qui pavent l’avenir du « moins ». En s’assurant tout de même que le temps de décélération nous évitent de prendre le mur !