Chemin faisant, j’ai croisé la route de Jancovici, appris à considérer la sobriété comme la valeur cardinale des années à venir. Et j’ai de plus en plus développé de la méfiance envers des solutions « magiques », « technologiques » permettant de résoudre sans détour les enjeux climatiques, de résoudre l’impossible équation de la croissance sans impact. Un très bon numéro de Uzbek et Rika m’a même fait questionner la logique même des innovateurs, comparée à celle des mainteneurs.
J’ai aussi croisé la route d’entreprises familiales, confiantes dans le talent d’équipes dédiées, loin du modèle « PSG » de quelques super stars mais attachées à valoriser leur esprit collectif et leur opiniâtreté, là aussi. J’ai longuement fréquenté Initiative France qui place au coeur de son modèle le respect pour toutes les parties prenantes d’un territoire concernées par l’entrepreneuriat en tant que vecteur de développement économique. Le respect du projet et du risque pris par un jeune entrepreneur, de ce qu’il apporte à son territoire et de ce que son territoire peut lui apporter. Et enfin, j’ai croisé la route de jeunes designers et de cabinets qui cherchent à construire des méthodes pour mieux travailler ensemble, pour renouveler la conception des politiques publiques.
Tout ça ressemble un peu à un inventaire à la Prevert mais un fil rouge m’apparait peu à peu, et il se cristallise d’une certaine manière dans une très bonne publication du laboratoire commun Destins de l’université de Poitiers. Un laboratoire commun (je découvre) c’est une coopération de 3 ans entre un labo de recherche et une PME, financée par l’ANRT. En l’occurence la maison des sciences de l’homme et de la société de Poitiers et Ellyx, une SCOP de designers . Ce LabCom a pour mission de « permettre de structurer une nouvelle génération d’approches, de méthodes et d’outils au service de la transformation sociale et écologique ». Ils ont dans ce cadre publié un excellent manifeste disponible sur https://destins.labo.univ-poitiers.fr/wp-content/uploads/2021/12/axe1-manifeste.pdf et qui semble devoir beaucoup aux travaux d’une certaine Laura Douchet, Doctorante en CIFRE qui a élaboré de très intéressantes réflexions sur les innovations sociales.
Ce n’est jamais très facile de résumer et le mieux reste de lire les quelques pages du manifeste, mais mon interprétation est la suivante :
- une première approche de l’innovation sociale (ça a été la mienne pendant longtemps) valorise à l’excès la « geste » entrepreneuriale, l’idée de quelques individus charismatiques, visionnaires, développant une approche nouvelle et créant d’incroyables social business résolvant de délicats enjeux de transition sociale ou environnementale. Dans cet univers, les choses vont vite, on Pitch, on « fast fail », on « pivote », on « test and try »… Ca reste quelque chose de « vrai », ce sont des leviers extraordinaires pour dépasser des paradigmes qui semblaient indépassables, pour créer des exemples qui donnent envie, pour montrer que « c’est possible ». Je confesse tout à fait aimer ce frisson de la vitesse, du « Quick and dirty » mais on sent bien à fréquenter les hackathon, les social business conférences, les incubateurs à impact et tout cet écosystème excitant que ça ne résout pas tout et même que ça peut poser quelques questions !
- de la même manière que dans le domaine de l’aide au développement (voire par exemple mon résumé de « la revanche des contextes ») une difficulté majeure de cette approche par le talent individuel ou de quelques uns c’est qu’il gomme toute visée « politique » (c’est d’ailleurs ça qui m’a séduit à l’origine !) et qu’elle porte potentiellement en elle les conditions de son échec par la faible prise en compte des contextes dans lesquels elle s’inscrit . L’innovation sociale est dans cette approche quelque chose de très technique, de désincarnée, de « neutre ». Une approche plus institutionnalisée permet de prendre en considération l’importance du temps, du territoire, le travail laborieux d’émergence lente, de construction commune des idées, d’alliances autour de projets communs avec des visées de changement explicites et profondes de la société.
- l’une des forces de ce manifeste est de dépasser cette approche institutionnalisée pour en proposer une 3eme, très bien résumée dans le schéma que je copie colle en dessous. Dans cette approche « nouvelle », on perçoit bien le rôle que peuvent jouer les designers/consultants/chercheurs, que ce soit en France ou à l’international. C’est de plus en plus ce type de compétences « méthodologiques », plutôt que thématiques, qui prend de la valeur et qui justifie l’intervention de tiers « ponctuels » (certains diraient infiltrés !) dans la conception des politiques publiques.
