Personne expérimentée qui souhaite partager son expérience en direct

Une fois n’est pas coutume, j’introduis ce post par la critique orientée d’un film. Il s’agit cette fois de « Coupez », l’excellente dernière livraison de Michel Hazanavicius. Comme souvent, j’en retiens une histoire de relation entre un père et sa fille et un hommage à la « geste » entrepreneuriale, à l’artisanat laborieux et appliqué. Dans ce film sur un film, rien ne marche comme prévu, personne n’est une superstar dans son domaine, l’idée fondatrice n’a aucun sens, mais chacun contribue à la réussite improbable du projet, avec ses limites, ses défauts, ses galères… Et, surtout, « l’entrepreneur » se réalise (au sens propre du terme !) au fur et à mesure que son aventure se déroule. Il parcours son « voyage du héros » qui lui permet en fait surtout de retrouver l’estime de sa fille, avec la petite originalité qui fait monter les larmes aux yeux : son mentor, c’est sa fille ! Tout y est donc : l’entrepreneuriat est moins une affaire de business plan et d’idée géniale que d’amour du métier, d’acharnement au quotidien et de parcours de confrontation à soi même, à ses peurs et à ses rêves. Vu comme ça, l’accompagnement à l’entrepreneuriat c’est autant la transmission de savoirs techniques ou d’expériences vécues que l’écoute patiente, confiante et bienveillante. Un rappel à l’ordre sur le risque à « s’habituer » à ce que vivent les entrepreneurs que l’on accompagne, à se rappeler que si pour nous c’est le 53eme rendez vous de la semaine, pour « lui » c’est l’aventure d’une vie. J’imagine que les médecins ont le même enjeu.

Sans vouloir systématiquement tout ramener à l’entrepreneuriat, la relation père-fille et le prêt d’honneur, je trouve malgré tout que la ritualisation du passage devant un comité « du territoire », le symbole d’exigence et de bienveillance que porte l’acte de prêter (et donc de faire confiance dans la capacité à se développer pour rembourser) sans intérêt et sans garantie (pas besoin, puisqu’on fait confiance), c’est très bien vu !

Mais ceux dont je voulais parler aujourd’hui, Live Mentor, c’est une bande de disrupteurs de la relation d’accompagnement à l’entrepreneuriat. Je les ai découvert dans un (excellent) podcast de Anais Pretot, l’une des associées fondatrices, sur l’edtech, ce qui est déjà un signe. J’ai d’abord apprécié la vision et le modèle économique, résolument tourné vers la formation professionnelle ; l’approche centrée sur « ce qui compte » (la vente, le digital, le marketing…) ; le focus sur les « petits » entrepreneurs, ceux du quotidien, pas ceux qui font la une des magazines ; le travail d’évaluation de l’action (distinguant la participation, la satisfaction et l’acquisition de compétences) et enfin la sensibilité à l’impact, notamment la recherche de clients en zone rurale.

Au fur et à mesure que je les « suis », je découvre une approche très cohérente de l’entrepreneuriat comme un parcours non seulement d’acquisition de compétence mais aussi/surtout de construction de soi. L’indépendance, la vente, la fameuse « solitude » du créateur, les indispensables plantades et les non moins nécessaires rebonds, le compromis du « fake it » et du « do it », ça oblige à aller chercher en soi, à se confronter à ses peurs, à ses désirs. Les repères habituels de l’entrepreneuriat sont brouillés, les approches mobilisées relèvent plus de la psy, du développement de soi que de la technique financière.

J’avais assisté à Beyrouth à une séance de yoga assez surréaliste où un coach (si on peut dire) essayait de faire rentrer « de l’entrepreneuriat » dans notre méditation (vous voyez la montagne, vous allez être le premier à la franchir, laissant vos concurrents loin derrière). Là c’est un peu l’inverse, c’est le yoga, la méditation qui rentrent dans l’entrepreneuriat. On le dit tous, l’important c’est l’homme, le créateur… Mais il est difficile de lutter contre la « dérive » de la « dossierisation », l’évaluation d’un projet sur son idée, son « time to Market », son « Pitch », son plan de trésorerie ou autre acronyme barbare. Car pour comprendre et accompagner « l’homme », il faut du temps.

Cette boite, donc, dont je vous parle, et qui a récemment levé 11 millions d’euros pour soutenir sa croissance, a fait un pari intéressant. Celui de démultiplier la capacité d’accompagnement en s’appuyant sur le contenu, la communauté et le digital. Le contenu sous toutes ses formes (magazine, newsletter, formations…), la communauté autour de l’aventure qu’ont vécu les associés et en particulier son fondateur, Alexandre Dana et le digital comme moyen de créer une relation de « mentorat », en direct (« live ») mais pas en présentiel. C’est gonflé, mais ça transpire de sincérité dans l’attention à ce que vivent les entrepreneurs « tous les jours », leurs risques de « burn out », leur rapport à l’argent, leur mauvaise estime du « vendeur »… Une grosse partie de la proposition de valeur vient de la réflexivité systématique sur ce qu’ont vécu les fondateurs et leur boite, les multiples pivots, les dangers affrontés, les réussites et les enjeux, de la création comme de la croissance…

Ce pari repose aussi sur le principe qu’il n’existe pas (ou tellement rarement que ça relève du miracle) de séquence « une idée géniale trouve son marché grâce à une étude exhaustive et une mise en oeuvre par des talents uniques ». Le parcours entrepreneurial est systématiquement constitué d’essais et d’erreurs, qui sont autant de moyens de développer des compétences. L’enjeu de l’accompagnement est de provoquer le passage à l’action, de construire l’expérience pédagogique et de soutenir le retour sur cette expérience pour en faire un élément de motivation et une source de réflexion sur l’écart entre le chemin à parcourir et les pertes acceptables. Est ce que tout cela peut se faire à distance, quelles sont les outils et les compétences qu’un « mentor/accompagnateur » doit disposer ? Comment articuler efficacement les sources de financement et ce mode d’accompagnement ? Autant de questions passionnantes auxquelles des acteurs « historiques » et de « nouveaux entrants » tentent d’apporter une réponse. J’ai eu la chance de vivre il y a une trentaine d’années (ça nous rajeunit pas) à l’émergence d’un nouveau métier, à cheval entre le social et l’économique, l’animation territoriale et le militant associatif, la finance et l’humain… celui de l’accompagnement à la création d’entreprise. Je me réjouis de voir arriver de nouvelles idées, d’autres souffles, qui renouvellent, bousculent, réinterrogent. A l’heure où « 26 gros réseaux » cherchent à doubler leur nombre de bénéficiaires sous la houlette de BPI, pour atteindre 40% de créateurs d’entreprise accompagné, ces échanges de vues sont salutaires.

Pour en savoir plus et boucler la boucle, je vous recommande l’écoute de ce très intéressant podcast d’Alexandre Dana. Il y a quelques dimensions que je ne suis pas encore sûr de pouvoir suivre mais dans le fond c’est une vision très saine et revigorante de l’entrepreneur et du chemin qu’il parcoure !