En 1981, la première plateforme d’initiative locale venait de voir le jour et préfigurait le futur réseau Initiative France, sous la houlette de l’incroyable Jean-Pierre Worms, que j’ai eu le (b)honneur de connaître de relativement prêt (attention, jeu de mot très subtil). En 1981 aussi, le non moins exceptionnel Bertrand Schwartz publiait un rapport recommandant la création d’un autre OVNI local, dédié celui là à l’insertion des jeunes, les Missions Locales.
De mon côté, en 1981, je m’inquiétais surtout de rechercher le dernier album des Cure, l’exceptionnel « Faith », sans réaliser que mon futur univers professionnel était en train de naître et de changer le monde. A ma décharge, j’avais 9 ans.
J’ai eu la chance de pouvoir intégrer « l’univers » Initiative dès mon quart de siècle, sous le pilotage de Pierre d’abord puis de Bruno. J’ai du attendre le demi-siècle pour comprendre ce que faisaient les missions locales, grâce à l’excellent bouquin de Anne le Bissonnais, recommandé par le toujours très pertinent Benoit ! Ce livre commence à dater un peu (2009), mais il décrit de manière remarquable le métier, les enjeux et les situations vécues par les animateurs et les bénéficiaires des missions locales, à partir de verbatim et d’analyses par une professionnelle « de l’intérieur ».
Cette découverte « sur le tard » m’amène à publier ce qui est peut être une exclusivité mondiale, du jamais vu sur aucun site en ligne… une tentative de mise en parallèle des fondements des associations Initiatives et des Missions Locales. Encore une fois un sujet très niche, riche en rebondissements et en surprises. Je peux affirmer sur la foie d’une recherche google extrêmement élaborée que très exactement 2 700 pages citent à la fois « mission locale » et « initiative france ». C’est un bon début, mais je voudrais remonter un peu plus haut dans le monde de la théorie (vous savez, ce monde fabuleux où, comme le dit Pierre Desproges, tout se passe bien).
(NB : comme pour tous mes billets, les analyses et idées développées n’engagent que moi).
Accompagner, un parcours
Au coeur de l’offre des missions locales réside un parcours d’accompagnement, individualisé et « global » (au sens où les enjeux sociaux de logement, de santé, de mobilité sont intrinsèquement liés aux enjeux d’insertion économique). Autant que possible, l’approche métier essaye de lutter contre « la dictature du projet » qui distinguerait de manière trop caricaturale une phase de définition de projet qui enchaînerait sur une orientation et une « injonction » à la mise en oeuvre du projet. Au contraire, l’approche « orientation » est abordée comme une construction régulière, tout au long du parcours, des essais, des erreurs et des retours sur les expériences vécues. Une approche très compatible avec les principes de l’effectuation et les méthodes de la formation en situation de travail. Une approche qui se place aussi délibérément du côté du bénéficiaire, en essayant d’éviter une orientation fondée sur des « placement » dans des secteurs en tension, au respect d’objectifs quantitatifs, à des logiques de bailleurs… Le pilotage de cette « tension » entre la logique « »tout part du jeune » d’une part et la logique de placement et de « programme » d’autre part n’est évidemment jamais « pur ». Il suppose de disposer de moyens, de formations, de professionnels, de temps… Il est intéressant que des réseaux se dotent de charte et d’outils pour créer de l’inertie autour de l’écoute et de la construction.
L’offre des associations d’Initiative France est de prime abord plus resserrée, moins globale. Elle tourne autour d’un prêt d’honneur et d’un accompagnement gratuit pour de jeunes entrepreneurs. Le parcours s’articule autour d’un comité souverain dans sa décision dont l’enjeu est double. D’un côté, ce comité rassemble l’ensemble des compétences d’un territoire. D’une certaine manière, « le territoire » vient reconnaitre la valeur d’un projet qui aura été accompagné par des structures partenaires que peuvent être par exemple les missions locales. C’est l’entrepreneuriat « par les territoires ». D’un autre côté, l’ambition première est de faire levier financier (rappelons le, 1(e) prêté par Initiative entraîne aujourd’hui en moyenne 9(e) prêtés par des banques) et non financier. L’octroi du prêt d’honneur marque une étape et a pour ambition d’inscrire l’entrepreneur dans son territoire, de lui ouvrir les portes de réseaux d’accompagnement, de partenaires commerciaux, de ressources humaines et financières… C’est l’entrepreneuriat « pour les territoires ». Parce qu’il est à rembourser, le prêt d’honneur intervient à un stade où le projet est assez mature pour se projeter dans un plan. Parce qu’il est personnel, il marque la confiance dans une personne, un entrepreneur, qui va être suivi, qui va probablement pivoter, évoluer au fur et à mesure de la confrontation à son marché…. Et parce qu’il est gratuit, il témoigne d’une solidarité territoriale.
Des offres métiers très différentes donc. Très large et multifacettes pour des missions locales dont la mission est l’insertion des jeunes. Très intégrée et dans une logique de levier pour Initiative France. Mais dans les deux cas, une volonté de transférer des « capitaux » à la fois monétaires, de savoirs… et symboliques (la fameuse estime de soi), un recours au mentorat ou au parrainage de bénévoles, qui ont comme effets indirects une rencontre entre générations et une inscription territoriale et un rôle de « fil rouge », de « catalyseur » de l’ensemble des ressources d’accompagnement de proximité.
« entre générations »
Role de « fil rouge » : participe aux entretiens avec les partenaires.
FEST : valorise alternance. cf Le sens de la FEST
Au-delà du coeur de métier, trois « dimensions » me semblent relier les Missions et les Initiatives locales !
- Tout d’abord, les 2 réseaux ont été fondés par des « gentilshommes », des « penseurs » qui se revendiquaient non spécialistes, non techniciens, mais désireux de porter une vision et de développer une action de bon sens à partir d’une problématique identifiée. Le fait que ces réseaux se soient fortement développés et institutionnalisalisés depuis 40 ans, sans perdre leur ADN et leur vision d’origine, est impressionnant.
- les 2 réseaux revendiquent, au coeur de leur méthode, le patient tissage de coopérations avec leur territoire. Elles se vivent comme un fil rouge, un levier, un lieu bienveillant et proactif qui, au travers de leur métier, de leur « technique » d’accompagnement, permettent à leurs partenaires publics, privés, bénévoles… de grandir. Une approche très « permaculturelle », dans laquelle c’est la richesse et les relations entre les acteurs qui compte.
- Au coeur également de la méthode, la « recherche action ». Une dimension très clairement décrite par Anne le Bissonnais, qui se traduit par des outils, des moyens mis en oeuvre systématiquement pour se « brancher » sur les expériences vécues, écouter les jeunes bénéficiaires… et faire évoluer l’offre en conséquence.
Quelques différences subsistent bien sûr :
- sur le coeur de métier, on l’a déjà dit. Chez Initiative France, on est 100% dans l’entrepreneuriat. Les missions locales l’abordent à la marge, en particulier au travers de leurs 46 groupements de créateurs. Plus largement, il y a certainement des réflexions à mener sur la valeur des méthodologies entrepreneuriales pour l’acquisition de compétences par des jeunes en insertion
- surtout, les missions locales sont reconnues par un article de loi, accueillent plus d’un million de jeunes par an et ont un lien institutionnel avec le service public de l’emploi français. Initiative France est très nettement reconnu comme un partenaire incontournable des régions et de l’Etat pour la gestion de nombreux dispositifs et a connu un chemin comparable de professionnalisation en se dotant de référentiels métiers et d’une démarche qualité mais n’a pas ce niveau d’institutionnalisation.
- Enfin, la gouvernance d’Initiative France est une mécanique extrêmement élaboré, tant dans son conseil d’administration que son comité, qui vise à maximiser les coopérations territoriales et l’indépendance de la décision. Les missions locales sont créées par des communes ou des groupements de communes et sont présidées par un élu d’une collectivité territoriale. L’organisation des missions locales distinguent de manière intéressante mais quelque peu complexe un conseil national (qui représente le réseau au niveau institutionnel et dont les membres sont nommés par le gouvernement), une association des directeurs et une union nationale (qui regroupe les élus et joue le rôle de syndicats d’employeurs).
Pour conclure, je ne reprends pas ici les statistiques (un peu anciennes) ni les développements sur le coût de l’accompagnement (sujet majeur mais dont il faudrait que je discute avec l’autrice avant de les partager !).
Le livre de Anne le Bissonnais développe par contre un argumentaire extrêmement intéressant qui met en garde sur deux logiques d’intervention de l’Etat au travers d’associations :
- Les appels d’offres dédiés au secteur privé pour la délégation de missions d’insertion sont venus percuter la structuration du réseau associatif que constituait les missions locales.
- surtout, l’institutionnalisation des dispositifs fait courir avec lui le risque de leur instrumentalisation. La considération des partenaires associatifs comme de simples « sous traitants » ou « distributeurs » assèche leur dimension territoriale et de recherche action, réduit leur agilité et leur adaptabilité. D’autant plus qu’elle s’accompagne en général d’une bureaucratie lourde, d’obligations de reporting dont les coûts ne sont pas compensés et qui mobilisent du personnel qui ne peut plus se consacrer à son coeur de métier. Des cabinets comme Ellyx se sont emparés également et plus récemment de ce sujet et cherchent à accompagner des projets d’intérêt général portés par des collectivités, des associations et des acteurs privés. Je recommande la lecture de leurs manifestes pour approfondir cette question.
- Enfin, la priorité à l’emploi, au détriment de l’insertion générale, de la prise en compte de la santé, du logement, du quotidien, du sport…